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Une espèce disparue…
La colonisation de l’ile de la Réunion a réellement commencé au XVIIème siècle et le premier naturaliste qui décrit les oiseaux de la Réunion est Dubois. Dans son relevé de 1672, il mentionne « aussi des aigrettes blanches et grises » à la fin de la liste des « oiseaux de rivière », après les flamants, oies, canards, butors, poules d’eau (en réalité des foulques). Tous ces oiseaux ont rapidement disparu à l’exception du butor ou héron strié.
Elle est encore dans la liste de Feuillet en 1704.
Ensuite l’aigrette a dû disparaître de la Réunion très rapidement après la colonisation car il semble qu’aucune autre description n’en ait été faite.
L’Étang du Gol, le délaissé
L’Étang du Gol est situé dans la plaine alluvionnaire de la Rivière Saint-Etienne. Il est formé essentiellement par l’élargissement de la Ravine Maniron dont l’écoulement parallèle à la côte est ralenti par un cordon littoral de galets et sable, barrage naturel formé par la houle.
Comme les deux autres étangs littoraux (Étang Saint-Paul et Étang de Bois Rouge), son avifaune a été très rapidement détruite par la chasse puis par l’introduction d’animaux et plantes exotiques et enfin par des aménagements (élévation d’une digue et drainage et mise en cultures des terres environnantes) qui ont bouleversé ce biotope.
Encore maintenant cet étang est finalement peu considéré. En partie classé comme Espace Naturel Sensible et propriété du Conservatoire du littoral, peut-être parce qu’on n’y trouve aucune espèce endémique ou indigène « prestigieuse », la gestion est discontinue dans le temps et l’espace, et peu d’études y sont consacrées. Au mieux c’est une zone récréative, au pire un dépotoir à déchets…
Les naturalistes y vont pour les odonates (libellules et agrions y sont encore bien présents) et pour les limicoles migrateurs (mais l’envahissement régulier du plan d’eau par les jacinthes et laitues d’eau invasives rend l’endroit peu accueillant pour ces espèces).
A quand une gestion douce mais régulière ? avec contrôle des déchets, lutte contre les plantes exotiques envahissantes en particulier sur le plan d’eau, accueil pédagogique du public et peut-être contrôle du niveau d’eau mais ce point mériterait peut-être une analyse scientifique.
Et l’aigrette revint !
Assez régulièrement des limicoles migrateurs rares sont observés à la Réunion, minuscule à l’échelle de l’océan indien, et en particulier à l’Étang du Gol ou aux alentours. Mais l’absence de congénères, un milieu globalement peu accueillant et peut-être le dérangement poussent probablement ces oiseaux à repartir assez rapidement de ce qui n’aura été qu’une étape sur le long chemin de la migration post-nuptiale.
L’ouverture partielle du volumineux cordon littoral en deux temps en janvier et février 2019 a bien sûr fait baisser le niveau d’eau mais surtout a découvert de vastes zones accueillantes pour les oiseaux qui peuvent s’y reposer et se nourrir.
Ces conditions favorables ont dû plaire à l’aigrette qui a d’abord été repérée par Damien Chiron, excellent ornithologue travaillant à la SEOR, et que j’ai pu voir à quelques reprises.
Deux formes pour une espèce douteuse
L’aigrette vue est probablement une Aigrette dimorphe (Egretta dimorpha) qui est présente à Madagascar et sur la côte est-africaine.
Cette espèce peut se présenter sous deux morphes ou formes : le morphe clair (blanc) est très semblable à l’Aigrette garzette (Egretta garzetta) commune quasiment dans le monde entier ; le morphe sombre (gris foncé) est caractéristique.
Certains spécialistes rattachent cette espèce à l’Aigrette des récifs (Egretta gularis), qui a les deux mêmes morphes, et se trouve plutôt dans les milieux tropicaux de l’hémisphère nord.
D’autres scientifiques rattachent ces deux espèces à deux morphes à l’Aigrette garzette (Egretta garzetta) dont la description habituelle ne comprend qu’une forme claire et est commune en Afrique, Asie, Pacifique et même bassin méditerranéen.
Une étude génétique viendra peut-être clarifier ce classement systémique un jour !
Certains sites internet locaux mentionnent une « aigrette de Bourbon, endémique en voie de disparition »…
Les aigrettes sont de bons voiliers ; certaines migrent entre leurs zones de reproduction et d’hivernage. Il y a donc peu d’espèces différentes dans le monde et donc peu de chance qu’une espèce soit devenue endémique d’une ile.
Souvenir d’affût
A peine tourné après la gravière, le bruit sourd de la 4 voies s’estompe. Je sors rapidement des bosquets. Tiens, de la rosée. Alors traverser la roselière ne sera pas rose… J’éteins ma lampe. L’aube pointe à peine. Où peut-elle se trouver ? Juste devant sur la berge ? sur le banc fraîchement dégagé par l’ouverture du cordon littoral ? dans la queue de l’étang ? Impossible de voir, de savoir.
Quelques oiseaux s’envolent, sans un cri. Peut-être les courlis d’hier ? Sortir et accrocher la toile, puis le matériel, se poser et attendre, c’est simple l’affût ! Il ne reste plus qu’à espérer qu’elle revienne.
Je devine quelques oiseaux qui viennent se poser sur le banc. L’obscurité est encore forte. Je tente quelques photos, pas pour la qualité mais pour l’identification. Dessus sombre, dessous blanc, bec long et légèrement recourbé vers le haut : chevaliers aboyeurs ! peut-être nos limicoles les plus farouches…
Le jour se lève. A droite, les poissons s’agitent dans l’eau. Derrière, une poule d’eau glousse. Peut-être suis-je sur son passage ? Et à gauche ? à gauche… Elle est là !!! Elle ? l’aigrette ! la belle aigrette que je reviens photographier.
Elle coure dans l’eau de faible profondeur, puis s’arrête et agite l’eau avec sa patte. De temps à autre le bec se replie puis se détend violemment vers l’eau. Elle longe le banc de sable, passe devant moi. Trop loin pour la photo, trop bien pour la vue.
Je distingue les « aigrettes » = les deux plumes sur la tête, signe d’un adulte reproducteur.
A la fin du banc de sable, elle hésite puis s’envole et disparaît.
Un chevalier guignette volette de ci de là. Un autre. Ah non, celui-là est moins nerveux, n’a pas le hochement habituel. Plus haut aussi. C’est un bécasseau cocorli, probablement un jeune de l’an dernier.
L’aigrette est revenue ! Silencieuse. Elle s’avance, passe devant le téléobjectif, s’arrête devant la rigole aux poissons puis s’envole à nouveau vers la queue de l’étang.
Un regard sur les photos. Quelques coups de loupe, quelques flous et… un petit sourire ! Une belle photo ? Peut-être… Un beau moment ? Assurément !
D’autres visites seront moins fructueuses… Avec un niveau d’eau aussi bas, les zones où se poser pour se nourrir ou se reposer sont vastes et souvent bien loin du photographe !
Voir l’aigrette ?
Toute approche est impossible. L’aigrette est plutôt farouche et s’envolera rapidement à la vue d’un humain. Seules une arrivée discrète, par exemple de nuit, et une attente toute aussi discrète permettent de faire des photos à distance raisonnable.
Sinon elle peut être entrevue depuis les prairies de Bel Air en pointant une bonne longue vue vers la queue de l’étang.
Si elle n’est pas inquiétée et qu’elle se satisfait de la nourriture, elle pourrait rester sur place puis repartira retrouver ses congénères à Madagascar ou sur la côte est-africaine.
Souhaitons aussi que ce niveau d’eau bas soit l’occasion de nettoyer l’Étang de ses déchets et surtout de contrôler les jacinthes d’eau qui vont démarrer rapidement une colonisation exponentielle !
Sources :
- Oiseaux de la Réunion par N. Barré et A. Barau
- Page Aigrette dimorphe de la SEOR
- Page Aigrette dimorphe de Avibase
Tout de grâce et de beauté (non, pas les berges !)
Merci pour ces instants magiques seuls capturés.
Sam
Merci Sam ! 🙂
Superbe photo Laurent et vraiment un bel oiseau.
Merci Michel ! Oh oui, avec un tel sujet, la photo devient (trop) facile ! 😉
Merci pour le partage de ce moment
😉
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